Jean-Jacques Nattiez, lauréat du prix Opus du livre de l’année pour Wagner antisémite

Jean-Jacques Nattiez. Paris : Éditions Christian Bourgois, 2015.

L’ouvrage de Jean-Jacques Nattiez, Wagner antisémite, remporte le prestigieux prix du livre de l’année à l’occasion des 21e prix Opus remis par le Conseil québécois de la musique. Le lauréat a pu exprimer ses remerciements lors du gala du 4 février dernier, à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal:

Je salue tout d’abord le fait qu’il y ait eu la possibilité, pour le jury, de retenir cinq ouvrages, ce qui témoigne de la vitalité de la recherche musicologique au Québec, et je félicite David Guy Joannis, Stephen Huebner et Jonathan Goldman d’avoir été retenus comme finalistes. La présence du volume d’hommage que Jonathan Goldman a préparé pour mes 70 ans, me donne l’occasion d’exprimer publiquement toute la profonde reconnaissance que je lui dois pour une initiative qui a provoqué des études approfondies d’une dizaine de collègues de calibre international autour de mon travail. J’ai un seul reproche à adresser aux organisateurs du prix Opus. Je regrette qu’il n’y ait pas de prix ex-aequo du meilleur livre car l’excellent Verdi de Stephen Huebner mériterait la première place tout autant que mon Wagner antisémite. J’en veux pour preuve le fait que ce livre soit issu de remarquables conférences, dites de prestige, auxquelles, avec mes collègues de la Faculté de musique de l’UdeM, je l’avais invité. Il en est sorti cet ouvrage dont j’ai chaudement recommandé la publication aux Presses de l’Université de Montréal.

La distinction dont je fais l’objet aujourd’hui me permet de souligner la portée que j’accorde à mon travail au-delà des seules exigences techniques de la musicologie.

Le fait que l’on doive à Richard Wagner quelques-unes des pages les plus sublimes de la musique occidentale, n’autorise pas à ignorer, voire à effacer comme certains ont tenté de le faire, les aspects sombres de sa personnalité, de sa pensée et de son œuvre, notamment le contenu antisémite de ses essais. Il y a malheureusement plus grave. Parce que, chez lui, tout se rejoint, l’antisémitisme est également présent dans le livret de la Tétralogie, des Maîtres chanteurs et de Parsifal, mais aussi, ce que peu de mélomanes savent, dans sa musique elle-même : la Sérénade de Beckmesser, dans Les Maîtres chanteurs, est une caricature d’une prière de synagogue, ce qui déclencha des protestations véhémentes de la part des membres de la communauté juive présente lors de la première de l’œuvre à Vienne et à Berlin.

À l’heure où le racisme sous toutes ses formes est élevé et banalisé au rang de politique d’État, il importe de démontrer et de condamner ce qu’il peut y avoir d’odieux chez un des plus puissants et des plus géniaux créateurs de notre culture. Aussi je remercie mon éditrice Dominique Bourgois d’avoir eu le courage de publier ce livre, et les membres du jury, d’avoir récompensé des pages souvent difficiles à lire et d’avoir considéré qu’il convenait d’attirer l’attention sur cette dénonciation de l’abjection.

Jean-Jacques Nattiez est Professeur émérite à la Faculté de musique de l’Université de Montréal.