Approches jazz, populaires et ethnomusicologiques en analyse musicale
Vendredi 11 juin 2021, 17h-19h (France) / 11h-13h (Québec)
La Société française d’analyse musicale (SFAM) et l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM) organisent conjointement une troisième rencontre francoquébécoise d’analyse musicale. L’activité se tiendra en mode virtuel, sur Zoom, le vendredi 11 juin ; le lien de connexion sera transmis la veille de la séance.
Cette troisième rencontre portera sur les approches jazz, populaires et ethnomusicologiques en analyse musicale, dans une perspective de convergence entre les méthodes. Elle comportera trois brèves interventions, chacune suivie d’une discussion collective. Elle sera animée par Nathalie Fernando, ethnomusicologue et doyenne de la Faculté de musique de l’Université de Montréal.
Trois angles thématiques principaux seront ainsi abordés par les intervenants :
- L’analyse des « micro-variations expressives » dans les musiques de tradition orale, par Filippo Bonini Baraldi ;
- Deux nouvelles pistes pour l’analyse : l’audiotactile et la macro-analyse, par Laurent Cugny ;
- Le genre dans l’analyse des musiques actuelles, par Danick Trottier.
Cette rencontre vise à créer un espace de discussion, à confronter les idées et à faire le point sur l’analyse au-delà des styles musicaux, le tout au sein de l’espace francophone. La réflexion commune ainsi amorcée sera, nous l’espérons, fructueuse et pleine de perspectives pour des rencontres futures.
Modalités d’inscription :
Pour vous inscrire, veuillez s’il vous plaît envoyer un courriel à l’adresse suivante : caroline.marcoux-gendron@umontreal.ca en indiquant vos nom et prénom, votre adresse courriel, votre identifiant Zoom qui permettra de vous admettre le jour de la rencontre ainsi que votre affiliation (membre SFAM, OICRM ou étudiant-e).
La date limite pour l’inscription est le mercredi 9 juin 2021 à 23 h (heure du Québec).
À propos des interventions
Filippo Bonini Baraldi : L’analyse des « micro-variations expressives » dans les musiques de tradition orale : deux exemples de Roumanie et du Brésil
Étudier le lien entre musique et émotion selon une perspective anthropologique n’exclut pas de se pencher sur l’analyse des sons produits dans un contexte culturel déterminé. Bien au contraire, cela demande parfois de développer de nouveaux outils d’analyse et de représentation de la musique, plus à même de rendre la dimension sensible de la performance et de l’écoute. Dans mes analyses des musiques rurales de Transylvanie (Roumanie) et du Pernambouc (Brésil), je me suis concentré sur les micro-variations expressives (Gabrielsson 1995) plutôt que sur les macrostructures du répertoire. Dans le premier cas (Transylvanie), j’ai utilisé une technologie de captation du geste pour mesurer la désynchronisation entre deux musiciens (violon et alto). Dans le deuxième cas (Brésil), des enregistrements multipistes et des algorithmes de détection du tempo m’ont permis d’analyser les micro-déviations temporelles (microtiming) d’un groupe de cinq percussionnistes de Maracatu de baque solto. L’étude empirique de ces paramètres permet de mettre en évidence des stratégies de jeu d’ensemble qui peuvent différer subtilement de celles utilisées par les interprètes de la musique dite de tradition écrite.
Filippo Bonini Baraldi est chercheur à l’Institut d’Ethnomusicologie (INET-md) de l’Universidade NOVA de Lisboa et chercheur associé au Centre de Recherche en Ethnomusicologie (CREM-LESC) de l’Université Paris Nanterre. Il a obtenu un diplôme en Ingénierie Électronique à l’Université de Padoue (Italie), un DEA en acoustique et informatique musicale (ATIAM) à l’IRCAM et une thèse en ethnomusicologie à l’Université Paris Nanterre. Il est lauréat du prix de thèse du Musée du Quai Branly (2011), du prix Charles Cros pour son livre Tsiganes, musique et empathie (2014) et du prix Bartok de la Société Française d’Ethnomusicologie pour son film Plan-séquence d’une mort criée (2005). Il a enseigné l’ethnomusicologie à l’Université Paris 8 Saint-Denis, à l’Universidade Federal da Paraíba (UFPB, Brésil), et à l’Universidade NOVA de Lisboa. Ses recherches chez les Tsiganes de Transylvanie et dans le Nord-Est brésilien (Pernambouc) explorent le lien entre musique, émotion et empathie, dans une perspective interdisciplinaire.
Laurent Cugny : De nouvelles pistes pour l’analyse ?
Deux des critiques récurrentes adressées à l’exercice analytique en musicologie portent l’une sur les répertoires, l’autre sur les méthodes. Selon la première, seules les œuvres d’écriture de la tradition savante occidentale auraient été réellement prises en compte. Pour la seconde, le privilège accordé au répertoire savant écrit implique un parti pris méthodologique mettant la partition au cœur du processus analytique, avec pour conséquence un certain nombre de biais limitant la portée de telles analyses. La première objection a perdu l’essentiel de sa pertinence, d’abord avec les travaux analytiques ethnomusicologiques, auxquels ont succédé leurs équivalents optant pour les répertoires du jazz et des musiques populaires actuelles. Cet élargissement des répertoires a entraîné celui des méthodes, la performance directe (pour l’ethnomusicologie) et l’enregistrement phonographique (jazz et musiques populaires actuelles) se substituant à la partition comme support de l’analyse. La discussion des tenants et aboutissants de l’analyse se serait-elle alors éteinte du fait de ces évolutions majeures ? Non, évidemment, car les objets et les méthodes, pour « nouveaux » qu’ils puissent paraître, n’en sont pas moins aussi discutables que leurs prédécesseurs et sont appelés, comme tout autre, à évoluer, à se transformer, voire à être abandonnés si leur pertinence venait à être remise en cause. On proposera ici deux pistes pour un élargissement de l’analyse des musiques dites audiotactiles (sans exclure qu’il puisse concerner également d’autres répertoires) : la première est précisément la piste audiotactile, qui privilégie les faires musicaux et leurs implications, notamment cognitives. La seconde serait celle d’une macroanalyse historique, prenant en compte non pas des œuvres une par une, mais des ensembles d’œuvres, et plus particulièrement les œuvres entiers de certains musiciens, mis en regard des contextes de leur époque.
Laurent Cugny est professeur à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, spécialiste de jazz. Il est notamment l’auteur de Las Vegas Tango – Une vie de Gil Evans (1989), Électrique – Miles Davis 1968-1975 (1993, réédition 2019), Analyser le jazz (2009, traduction Mississippi 2019), Une Histoire du jazz en France – Vol. 1, du milieu du XIXe siècle à 1929 (2014), Hugues Panassié – L’œuvre panassiéenne et sa réception (2017), Recentrer la musique – 1. Audiotactilité et ontologie de l’œuvre musicale (2021). Comme musicien, il a joué et enregistré avec Gil Evans (1987), été directeur musical de l’Orchestre National de Jazz (1994-1997), créé et dirigé le Gil Evans Paris Workshop (2014-2018). Il a été arrangeur dans de nombreux enregistrements (notamment pour Abbey Lincoln, Juliette Gréco, David Linx). Il est également l’auteur de l’opérajazz La Tectonique des nuages (créé à Nantes en 2015).
Danick Trottier : Le genre dans l’analyse des musiques actuelles : les défis d’une notion attrayante !
Le genre est l’un des outils prisés pour discuter des musiques populaires et se situer dans leur abondance. Dans le contexte de l’analyse de ces musiques, il sert à comprendre leurs finalités esthétiques ainsi que les rapports de continuité et de rupture qu’elles entretiennent. Des concepts comme la synecdoque de genre pour comprendre les phénomènes de perception (Tagg) ou des analyses comparatives pour saisir les formes de crossover (Brackett) semblent de plus en plus datés à mesure que nous progressons dans le XXIe siècle, le décloisonnement des genres musicaux en appelant à de nouveaux concepts pour penser et analyser la pluralité musicale qui caractérise notre siècle. Des musicien-nes comme Kendrick Lamar, Tylor The Creator, Solange ou encore, pour la France, Christine and the Queens, Zaz et Pomme font la démonstration de la difficulté à apposer une seule étiquette à leur travail. La question est donc de savoir s’il faut se passer de la notion de genre dans l’analyse de ces musiques ou revoir la portée de ce concept, voire le considérer comme une catégorie historicisante. La présentation offrira quelques pistes de réflexion en ce sens tout en argumentant pour une limitation et surtout une reconsidération du genre dans l’analyse des phénomènes musicaux des dernières années.
Danick Trottier est professeur de musicologie au Département de musique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre régulier de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM). Il participe également au comité scientifique des Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique et assume la direction de l’antenne OICRM de l’UQAM. Les musiques des XXe et XXIe siècles, autant dans la tradition dite populaire que dans la tradition dite classique, sont au cœur de son travail universitaire.