Le disque puis la radio ont changé radicalement le rapport des musiciens et des auditeurs à la musique en quelques décennies, entre 1900 et 1950. La musique devient au centre de la production discographique et de la radiodiffusion et doit affronter à la fois des questions technologiques, les modèles économiques et les objectifs sociopolitiques. Ce colloque souhaite offrir l’occasion aux chercheurs d’explorer conjointement la relation entre la musique, le disque et la radio en interrogeant six grands axes : 1) la technologie 2) le(s) public(s) 3) la création 4) les nouveaux métiers 5) les esthétiques 6) la programmation discographique et radiophonique. Le cadre des pays francophones permettra d’établir des comparaisons, mais aussi des liens entre les « marchés » du disque et les réseaux radiophoniques qui naissent à l’époque. Il permettra aussi de faire apparaître les nouveaux modes de circulation des artistes et des œuvres au sein d’une communauté linguistique confrontée aux impératifs d’une internationalisation de la production musicale. Le colloque s’accompagnera, le 21 octobre, d’une journée d’étude intitulée « Mémoire musicale et résistance dans les camps ». Organisée par Marie-Hélène Benoit-Otis et Philippe Despoix, cette journée vise à explorer l’impact du disque et de la radio sur la création artistique et musicale dans les camps nazis, en s’intéressant plus particulièrement à l’opérette-revue Le Verfügbar aux Enfers, écrite par Germaine Tillion au camp de Ravensbrück en 1944.
Comité d’organisation
- Michel Duchesneau (professeur titulaire, Université de Montréal, directeur de l’OICRM)
- Marie-Hélène Benoit-Otis (professeure adjointe, Université de Montréal)
- Federico Lazzaro (stagiaire postdoctoral, McGill University/OICRM)
- Liouba Bouscant (stagiaire postdoctorale, Université de Montréal/OICRM)
Comité scientifique
- Christophe Bennet (Paris-Sorbonne)
- Marie-Hélène Benoit-Otis (Univ. de Montréal)
- Liouba Bouscant (Univ. de Montréal)
- Philippe Despoix (Univ. de Montréal)
- Michel Duchesneau (Univ. de Montréal)
- Federico Lazzaro (Univ. McGill)
- Sylvia L’Écuyer (Univ. de Montréal)
- Karine Le Bail (CNRS)
- Pascal Lécroart (Univ. de Franche-Comté)
- Marie-Thérèse Lefebvre (Univ. de Montréal)
- Sophie Maisonneuve (Univ. Paris Descartes)
Coordination
- Christine Paré (coordonnatrice OICRM, site Université de Montréal)
- Judy-Ann Desrosiers (coordonnatrice de l’Équipe Musique française, LMHS/OICRM)
Appel à communications
Le disque puis la radio ont changé radicalement le rapport des musiciens et des auditeurs à la musique dans un temps relativement court, quelques décennies, entre 1900 et 1950. Si le moyen de graver les sons sur cylindre puis sur disque apparaît dès la fin des années 1870, c’est avec le xxe siècle et l’évolution des technologies de l’enregistrement qu’il devient un outil extraordinaire de diffusion de la musique. La radio arrive dans les foyers au tout début des années 1920 et en une dizaine d’années provoque une nouvelle révolution médiatique, profitant entre autres du disque. La musique compte désormais sur le disque et la radio pour sa diffusion auprès d’un public de plus en plus large.
En langue française, des études importantes ont déjà abordé alternativement l’un ou l’autre de ces médias. Les travaux de Sophie Maisonneuve[1] sur le disque et ceux de Cécile Méadel[2], de Pierre Pagé[3] ou de Philippe Caufriez[4] sur la radio dressent des portraits révélateurs d’un monde musical en mutation. Mais les travaux sur la musique diffusée et les rapports qui s’établissent entre la création musicale et ces nouveaux médias avant 1950 (c’est-à-dire, avant l’affirmation des bureaux de la radiodiffusion de Paris, Cologne et Milan en tant que lieux de l’expérimentation des musiques concrètes et électroniques) sont nettement moins nombreux, même si d’importantes études balisent ce champ de recherche : par exemple, celles de Christophe Bennet[5] ou de Karine Le Bail[6].
Dans les pays francophones, le disque circule rapidement, mais la radio prendra plus de temps à s’implanter que dans des pays comme l’Angleterre, les États-Unis ou l’Allemagne[7]. Malgré cette percée plus lente, l’occupation des ondes hertziennes tout comme la vente du disque deviendront des enjeux stratégiques pour les compagnies tant européennes qu’américaines qui, dans la dynamique d’une commercialisation à grande échelle, adopteront des modèles d’affaires privilégiant certains genres, des artistes plus connus, des compositeurs et des œuvres plus célèbres que d’autres. En contrepartie, la radio jouera un rôle d’éducation qui sera très rapidement repéré par les principaux intéressés, dont les artistes et les instances gouvernementales qui régiront la radiodiffusion en la contrôlant de plus en plus par la création des postes « nationaux ». La musique est évidemment au centre de la production discographique, comme elle est l’objet central de la radio, et ce, dès les débuts de la radiodiffusion. Mais les questions technologiques, le cadre économique et les objectifs sociopolitiques imposent des façons de faire, des modèles qui ont un impact direct sur la production musicale. Quel est-il ?
Les recherches sur le domaine peuvent s’appuyer sur un nombre grandissant de sources. Les moyens technologiques du numérique donnent accès à un nombre sans cesse croissant d’enregistrements discographiques et radiophoniques de la période. Les archives des radios et des revues spécialisées renferment une quantité impressionnante de documents qui n’ont été que peu exploités jusqu’à présent. L’immensité du champ de recherche qui s’ouvre ici explique peut-être qu’il n’ait pas encore été abordé systématiquement[8]. Ce colloque, qui s’accompagnera d’un atelier intitulé « Mémoire musicale et résistance dans les camps » (organisé par Marie-Hélène Benoit-Otis et Philippe Despoix), souhaite offrir aux chercheurs l’occasion d’explorer conjointement les relations entre la musique, le disque et la radio en s’interrogeant sur 1) les interactions entre les médias et le transfert intermédial, 2) l’adaptation artistique des compositeurs et des interprètes aux nouveaux moyens de diffusion et 3) les conséquences sociales, économiques et esthétiques de l’arrivée du disque et de la radio pour l’activité musicale. Le cadre des pays francophones permettra d’établir des comparaisons, mais aussi des liens entre les « marchés » du disque et les réseaux radiophoniques qui naissent à l’époque. Il permettra aussi de faire apparaître les nouveaux modes de circulation des artistes et des œuvres au sein d’une communauté linguistique confrontée aux impératifs d’une internationalisation de la production musicale.
Les communications en français ou en anglais d’une durée de 20 minutes pourront privilégier des approches archivistique, historique, esthétique, analytique, sociologique ou géographique. Les propositions de panels regroupant plusieurs communications autour d’un sujet spécifique sont les bienvenues. Les propositions soumises doivent contribuer à au moins un des six grands axes que ce colloque souhaite aborder :
1) Technologie
- le progrès technologique : les rapports entre l’art et la technique
- le son enregistré : qualité de l’enregistrement et qualité de l’écoute/réception
- l’artifice de l’enregistrement
2) Public
- l’éducation de la nation par la radio et le disque
- la contribution du disque et de la radio à la culture de masse
- les effets de la diffusion par le disque et la radio sur la mémoire musicale collective (cas de la musique au front, dans les camps de concentration, etc.)
3) Création
- la naissance des genres radiophoniques
- le compositeur face aux contraintes technologiques
- l’interprétation pour le disque
- l’interprète face aux exigences techniques du studio
- la médiatisation des vedettes
- le rapport entre le succès en concert et la consécration sur disque
4) Nouveaux métiers
- les acteurs du virage technologique de la musique : techniciens, réalisateurs, présentateurs, speakers et disquaires
- les observateurs du changement : chroniqueurs, critiques de disques, revues spécialisées
5) Esthétique
- la nouveauté de l’écoute répétée et son impact sur la perception esthétique
- le concept de « radiogénie »
- la légitimation de ces nouveaux médias
6) Programmation discographique et radiophonique
- la constitution d’un répertoire, d’un canon
- le mélange de genres
- parler de musique : causeries, présentations de concerts, cours radiophoniques
- la radio et la propagande
Coordination :
- Christine Paré (coordinatrice OICRM, site Université de Montréal)
- Judy-Ann Desrosiers (coordinatrice de l’Équipe Musique française, LMHS/OICRM)
Notes
[1] Sophie Maisonneuve, L’invention du disque, 1877-1949. Genèse de l’usage des médias musicaux contemporains, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009.
[2] Cécile Méadel, Histoire de la radio des années trente. Du sans-filiste à l’auditeur, Paris, Anthropos/INA, 1994.
[3] Pierre Pagé, Histoire de la radio au Québec, Montréal, Fides, 2008.
[4] Philippe Caufriez, Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, Crisp, 2015.
[5] Christophe Bennet, La musique à la radio dans les années trente. La création d’un genre radiophonique, Paris, L’Harmattan/INA, 2010 ; « Musiciens de l’entre-deux-guerres. Du clavier au micro », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n° 124 (2015), p. 9-120.
[6] Karine Le Bail, Musique, pouvoir, responsabilité. La politique musicale de la Radiodiffusion française, 1939-1953, thèse de doctorat, Institut d’études politiques de Paris, 2005 ; Musique et « drôle de guerre ». Histoire de l’Orchestre national de la Radiodiffusion française, Paris, CNRS Éditions, à paraître ; Le Bail et Myriam Chimènes (dir.), Henry Barraud, Essai autobiographique. Un compositeur à la tête de la Radio, Paris, Fayard/BnF, 2010.
[7] Sur l’histoire du disque et de la radio anglo-saxons et germaniques à cette époque, cf. Leon C. Hood, The Programming of Classical Music Broadcasts Over the Major Radio Networks, Ph. D. diss., New York University, 1955 ; William Glock, The BBC’s Music Policy, London, BBC, 1963; Nanny Drechsler, Die Funktion der Musik im deutschen Rundfunk, 1933-1945, Pfaffenweiler, Centaurus, 1988; Louis E. Carlat, Sound Values. Radio Broadcasts of Symphonic Music and American Culture, 1922-1939, Ph. D. diss., John Hopkins University, 1995; Bryan Dewalt et John Vardalas (dir.), Sound Recording in Canada. An Historical Assessment, Ottawa, National Museum of Science and Technology, 1995; Michael Stapper, Unterhaltungsmusik im Rundfunk der Weimarer Republik, Tutzing, Schneider, 2001; Allan Sutton, Recording the ’Twenties. The Evolution of the American Recording Industry, 1920-29, Denver, Mainspring Press, 2008. Pour une étude de la musique à la radio en perspective européenne, cf. Angela Ida De Benedictis et Franco Monteleone (dir.), La musica alla radio, 1924-1954. Storia, effetti, contesti in prospettiva europea, Roma, Bulzoni, 2012.
[8] Parmi les ouvrages dressant des portraits généraux de ce domaine de l’histoire culturelle et musicale, cf. Jack Bornoff et Lionel Salter, Music and the Twentieth-Century Media, Florence, Olschki, 1972 ; Hugh W. Hitchcock (dir.), The Phonograph and our Musical Life, New York, Institute for Studies in American Music, 1980; Michael Chanan, Repeated Takes. A Short History of Recording and its Effects on Music, London, Verso, 1995; Jonathan Sterne, The Audible Past. Cultural Origins of Sound Reproduction, Durham, Duke University Press, 2003; Marc Katz, Capturing Sound. How Technology Has Changed Music, Los Angeles/Berkeley, University of California Press, 2004; Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli et François Valloton (dir.), Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques, 1860-1940, Paris, Presses universitaires de France, 2006 ; Nicholas Cook et alii (dir.), The Cambridge Companion to Recorded Music, Cambridge, Cambridge University Press, 2009; Pierre-Henry Frangne et Hervé Lacombe (dir.), Musique et enregistrement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014.